MON « ROVA », TON « ROVA », SON « ROVA » …

Madagascar en « guerre ».

Une guerre perpétuelle opposant le peuple à l’état. Le traditionalisme à la modernité. L’envie de changement à la peur de l’inconnu. L’acte à la parole. Le « Malgache » à « Malagasy ».

Et dans ce conflit, heureusement non armée, je vais me placer au beau milieu du no man’s land.

LES ROVA DE MANJAKAMIADANA
J’ai pu visiter le ROVA de Manjakamiadana peu de temps avant l’incendie de 1995. J’étais fasciné par son histoire. Et je n’ai su qu’à ce moment que le « ROVA » original, construit par Ranavalona I près d’un autre palais construit par Andrianampoinimerina, était en bois, car, à sa construction, il était interdit de construire une maison en pierre dans la ville. En effet, selon la croyance, ce matériau était réservé à la dernière demeure (la tombe).

Ce n’est que pendant le règne de RANAVALONA II – pendant l’entrée en force du christianisme – que ce tabou fut levé. Le palais fut donc recouvert d’une carapace en pierre, sous la supervision de l’architecte écossais James Cameron, qui était aussi un missionnaire protestant. La conversion de la reine RANAVALONA II au christianisme motive aussi la construction d’une église protestante dans l’enceinte du palais. Cet acte marque la « fin » du traditionalisme. En tout cas pour la royauté. Le bâtiment a été construit de façon à ne plus respecter les dispositions du système astrologique pourtant chères aux Malgaches. La place de la reine dans l’église se trouvait au sud (place des roturiers selon la croyance malgache) et non plus au nord (place du pouvoir).

Après l’incendie du palais en 1995, aucune réhabilitation n’a pu se faire totalement par « faute de moyens de l’état ». Et ce n’est qu’en 2006 que le président Marc Ravalomanana établit le plan de reconstruction du palais. Les travaux furent confiés à l’entreprise COLAS. Une entreprise de construction (et non de réhabilitation) qui véhicule la religion du béton. Le palais est donc reconstruit en grande partie avec du béton.

… Donc voilà ma question. Quand on dit que le ROVA Manjakamiadana est un symbole important, sinon sacré, pour les Malgaches … on parle duquel ? Celui en bois ? En pierre ? Ou en béton ? En sachant que chaque (re-)construction vient avec son lot de désacralisation.

PATRIOTISME HYPOCRITE
En 2020, les « 6% » (caste des Malgaches facebookiens), s’insurgent contre la construction d’un stade aux allures de colisée romain dans l’enceinte du palais, initié par le président Andry Rajoelina. Le projet n’est pourtant pas nouveau. Déjà annoncé en 2018, puis officialisé en 2019 par l’inauguration des travaux, le Colisée ne devrait plus être une surprise … Sauf si on ne s’y intéresse que maintenant.

On sort souvent l’expression « médecin après la mort » quand l’état prend des mesures tardives. Mais le peuple n’est finalement pas mieux. Son patriotisme ne se réveille que quand tout va mal. (Il suffit de voir aussi les témoignages des gens qui étaient au courant des célèbres cas de violence basées sur le genre mais qui ne se sont manifestés qu’après le drame)

Avant aujourd’hui, peu de monde s’intéressait au ROVA, qui est devenu un lieu de flirt pour les adolescents tellement l’endroit est calme et oublié. Je ne serais pas étonné de trouver des capotes usagées un peu partout sur ce site.

Pourquoi avoir attendu 2 ans avant d’en parler et de critiquer ? N’était-ce pas plus intelligent de s’y opposer en masse tant que le projet était encore au stade d’idée, et non à un stade déjà très avancé ?

Au final, je soupçonne une simple fascination opportuniste pour la critique plutôt qu’un patriotisme fort venant de ces « 6% », tellement la stratégie de lutte est de l’à peu près.

LA CHARRUE AVANT LES BŒUFS
Pour ma part, le palais de Manjakamiadana n’a plus rien de « sacré », dans le sens biblique du terme, depuis sa reconstruction par COLAS et je ne m’oppose pas à des projets qui le rendraient plus « fonctionnel ». (Mais rien n’empêche d’allier préservation et fonctionalité)

Ce « Kianja Masoandro » est à l’image de tout le programme de l’Etat : « voir toujours plus grand ». Mais est-ce que Madagascar a vraiment les moyens de cette ambition ? (entendre par là les moyens humains. L’argent on sait que ça coule quand on le veut). Le « Kianja Masoandro » accueillera des prestations scéniques basées sur l’histoire de Madagascar, et plus particulièrement de ce palais. Voilà ce qui a été dit pour motiver sa construction.

Soit … mais des prestations scéniques faites par qui ? Ce n’est un secret pour personne : les artistes ont toujours été considérés comme la 5e roue de la charrette.  Aucune structure d’aide vraiment viable. Aucun programme d’aide au développement artistique concret. Même le statut n’existe pas. Si bien que les artistes se retrouvent seuls dans leurs combats de création ou se tournent vers des structures étrangères.

Il y avait un projet de réhabilitation artistique des « tranompokonolona » qui a trouvé lettre morte. Pourtant ces « tranompokonolona » constituent un réseau de distribution très puissant pour les œuvres scéniques dans tout Madagascar, pour peu qu’on s’en occupe vraiment. En attendant, il n’y a que la structure de l’alliance française qui soit vraiment présente dans toute l’île.

Les programmes de l’Etat ont toujours combattu l’informel. Pourtant aucune structure d’aide ou d’accompagnement n’est mise en place pour les travailleurs indépendants. On incite un artiste à faire des démarches administratives pour formaliser son statut … mais on l’oublie dans les plans d’urgence.

Il ne faut pas croire qu’un artiste est riche et vit mieux que les autres. La vie d’un artiste à Madagascar est très précaire. Au-delà des têtes d’affiches qu’on voit souvent lors des « faradoboka propagande », il y a une multitude d’autres artistes qui se battent corps et âme pour sortir une œuvre. Il y a des structures prometteuses qui essayent de vivre et qui rêvent d’un intérêt aussi grand que l’inauguration d’une chaîne de fast-food. Il y a des artistes qui préfèrent aller à l’étranger où leur art est mieux considéré …

PSEUDO-COLISÉE
L’inspiration de ce « kianja masoandro » est clairement issue du Colisée de Rome, c’est indéniable  (même s’il existe des Colisées partout dans le monde bien avant cette ère moderne. Même en Afrique), mais seulement en apparence. Les colisées et amphithéâtres étaient construits pour que des représentations scéniques puissent s’y dérouler. Et il ne faut pas l’oublier, ces amphithéâtres étaient construits à une époque qui n’avait pas encore de micro ni de sonorisation à 10.000 watts. Non, les artistes n’avaient que leur voix pour se faire entendre.

La construction exigeait donc une approche architecturale très précise pour que la sonorité soit efficace. Il existe même des constructions où une personne qui parlerait normalement sur la scène pouvait très bien se faire entendre partout dans l’amphithéâtre, même s’il était construit en plein air.

Et je ne pense pas qu’une construction tout en béton sans prendre en compte ces paramètres soit ce qu’il y a de plus efficace (sauf si le paraître est ce qu’on appelle « efficace »). Ne l’oublions pas, il devrait servir à des représentations théâtrales. Pas à des concerts qui auraient l’aide d’une sonorisation complète pour se faire entendre.

LE CHAMP DE BATAILLE
Entre un peuple devenu (ou rendu) ignorant, et un régime qui saute l’étape de l’expertise et la concertation en dehors de son cercle … c’est un vrai champ de bataille qui se dresse à Madagascar. Et, sans vouloir minimiser les conflits armés de ce monde, la situation à Madagascar fait aussi des victimes silencieuses. La pente vers l’abrutissement est très glissante et l’écart entre l’État et la population n’est plus une faille, mais un fossé. Après Miami, Rome … Nous avons aussi maintenant notre « Grand Canyon ».

À l’un de faire des efforts pour être crédible (on ne se dit pas patriote en laissant à l’abandon les différents musées et sites culturels qui sont bien à nous) et à l’autre des efforts pour se rapprocher (comprendre ses compatriotes et les aider, sans élitisme. Et savoir leur parler).

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