BENJA KELY: le reflet de la culture malgache

benja-kelyDimanche 30 octobre 2016 à 13h30. Devant les deux  églises salles de cinéma à andohan’analakely: Ritz et Rex. Une longue (mais alors très longue) file d’attente monte quasiment jusqu’au niveau de Telma à antaninarenina. 

Nous, les malgaches, avons l’habitude de voir un tel attroupement chaque dimanche. Mais pour cette fois-ci, à la place du nom d’un pasteur sur les devantures des deux bâtiments, nous avons les banderoles d’un film malgache (chuut ce n’est pas le débat): Benja Kely.

La séance commençant à 14h, j’ai pensé que la marge de 30 minutes était suffisante. Voyant la file d’attente monstrueuse je me suis quand même rabattu sur les billets réservations à 10.000 Ar, permettant une entrée en salle avant les billets à 4.000Ar. (Et un DVD du film « gros bébé » en cadeau aussi). Même si le terme « réservation » perd tout son sens, l’initiative est quand même bien trouvée.

13h45, entrée en salle dans le cinéma REX. Dans les couloirs et à l’entrée, on remarque une dizaine de T-shirt « T-movie » qui s’affaire et circule dans tous les sens. Seconde belle initiative: impliquer les jeunes passionnés du cinéma.

Une fois dans la salle … premier constat. La salle est plutôt bien entretenue. Malgré une ou deux rangées inutilisables à cause de la dégradation des fauteuils, tout le reste est plutôt bien convenable.

Je rejoins ma place, n°56.

14h. sur la scène trois personnes (surement des techniciens) s’affairent à des trucs obscurs pour le profane. Mais en tout cas … cela ne présage rien de bon …
La rangée des « réservations sur place » commence à se remplir petit à petit. Troisième constat positif: le cinéma attire et le public est prêt à payer. Inutile ici de différencier des classes. le prix de 10.000 Ar n’est apparemment pas trop cher pour un divertissement. Il y avait même une famille de 10 personnes qui se sont « arrangées » pour être ensemble.

Pour moi … la perception négative a commencée là. Leurs chaises n’étant pas dans l’ordre ils ont « envahi » la place des autres réservations avec la phrase préférée des Malgaches « tsy maninona io eh. Tsisy hahita akory ». Malheureusement ce n’était pas une scène isolée. Le numéro des chaises n’avait plus aucune utilité.

Ne voulant pas être empoisonnée par cette atmosphère décevante et les cris que le bébé dans les mains de sa grand-mère (chaise 57) faisait avant que la mère (chaise 55) ne le prenne … j’ai décidé de remonter vers les chaises à 4.000 ar, là où sont assis les membres de la T-movie.

14h15, le public commence à entrer (et l’incivilité aussi, désolé). Chacun pouvait prendre la place qu’il voulait SAUF les chaises avec numéros, qui sont mieux placées. Solution? On arrache le numéro scotché comme ça elle devient une chaise « sans numéro ». Bref …

14h30. Les spectateurs sont déjà tous plus ou moins bien installés. Un « responsable de la sécurité » sillonne les rangées à la recherche d’un éventuel matériel d’enregistrement. Des bruits de couloirs courent en effet que deux personnes ont déjà été refoulées à l’entrée, car avaient des caméras dans leur sac.

14h40, soit un retard de 40 minutes, le discours de présentation commence le représentant de Maki Production prend la parole … juste pour dire bonjour, avant de passer la parole au représentant de T-movie. Les excuses ce sont eux qui vont le faire, ainsi que la prévention contre le piratage. Chose bizarre … ils ne devaient apparemment pas être impliqués dans la préparation, mais ont juste été engagés sur le tas pour aider l’équipe. Information qui s’est fait en confidence bien sûr, au grand désespoir des membres.

À partir de 14h45 la salle commence à s’impatienter. Le projectionniste panique devant son ordinateur … sans rien cacher de ses voyages dans les dossiers et sous dossiers aux yeux des spectateurs. Problème: le son ne passe pas.

Une heure de retard donc jusqu’ici, avant de trouver la solution: changer l’ampli. Jusqu’ici, une vingtaine de personnes ont déjà quitté la salle, sans compter les insatisfaits qui ont vu leur chaise réservée occupée par quelqu’un d’autre.

La voix monte et c’est là que les jeunes de la T-movie ont surement regretté leur implication bénévole, car la différence de poids lors de la présentation au début les plaçait sur une plus haute place dans l’organisation que les producteurs du film même.

Le problème résolu, le film commence. Et c’est là qu’on voit que le public a vraiment besoin du cinéma. Une heure de retard, aucune excuse recevable … pourtant les premières images avec le son sont quand même reçues avec des applaudissements.

15h15 donc, le film commence. Parlons maintenant du film, oublions les soucis de préparations, donnons une chance aux producteurs … ou pas, finalement. Les soucis techniques ne s’arrêtent pas là.

La salle ne disposant pas d’un équipement de sonorisation aux normes, le dialogue se confond avec la musique de fond. Quelques réglages de l’ampli avant d’avoir un son plus ou moins acceptable. Mais trop tard … les 5 premières minutes du film sont perdues, car on n’entendait que le souffle oppressant de la basse et juste des lèvres qui s’articulent à l’écran.

Bon … passons au film maintenant … premier constat: l’image. Une belle surprise. La colorimétrie n’est pas criarde, les plans à l’épaule sont maîtrisés, les mouvements de caméra sont généreux et les dialogues (sans tenir en compte le matériel utilisé pour la projection) sont de bonne facture. Bien sûr, côté réalisation technique il y a encore beaucoup de défauts comme la règle des 180° qui est outrepassée à plusieurs reprises, des steadicam pas fluide (le début du mouvement est toujours perceptible) … Bref des défauts qui montrent encore un certain manque de connaissance. Pourtant le film offre gracieusement des plans et mise en scène vraiment étonnants. Comme cette vue du drone qui est parfaite pour la situation, ce plongeon dans le canal de la réunion kely … ils ont eu les couilles … mais ne les ont sortis que trop rarement.

Si le côté technique passe quand même assez bien (je ne vais pas parler de cette mire visible entre deux plans, car au moins ça montre qu’ils n’ont pas fait l’étalonnage à l’œil… non en fait c’est une très grosse erreur), le scénario est son plus gros point faible.

Benja kely raconte la vie d’un orphelin abandonné par sa famille à la naissance et qui essaye de construire au mieux sa vie…
Non, en fait Benja kely c’est l’histoire d’un mendiant aveugle qui avait jadis une vie bien comme il faut, mais qui était un peu trop flambeur…
Nooon, en fait Benja kely c’est l’histoire d’un groupe de malfrat qui fait l’objet d’une surveillance policière depuis longtemps…
Noooooooon, en fait Bejna kely c’est l’histoire d’une riche milf qui va aider Benja Kely …

Breeeeeeeeeef j’abandonne … Benja Kely c’est juste l’histoire d’un groupe de passionné du cinéma qui avait beaucoup d’images en tête et qui les ont mis bout à bout. C’est méchant, mais le scénario est vraiment trop bancal.

Une scène secondaire dans l’intrigue obtient un traitement 2x plus important que la scène principale. La construction semble ne suivre aucune règle. L’installation dure … une heure. Une heure où nous n’avons que des présentations de personnages. Avec une telle construction, il est normal que le personnage n’obtienne aucune sympathie auprès du public.

Deuxième gros défaut: le film use et abuse du « deus ex machina ». Personnellement je ne trouve pas intéressant de prendre un acteur qui subit. Je préfère de loin un acteur qui agit. Dans le film il n’y a aucune action que le personnage entreprend qui aille dans le sens du récit. Les résolutions (mais vraiment toutes) viennent de nulle part. « Dieu est venu sur une machine » … ça lasse de voir ces films qui trouvent leur réponse dans une aide divine. Mais bon … en même temps on regarde un film d’action dans une église …

Le scénario manque vraiment de maîtrise. Il ne sert en rien le tournage. On a cette impression au contraire que c’est le tournage qui définit le scénario. Bien sûr, il y a des séquences vraiment intéressantes à filmer et qui sortent bien … mais ils ne servent pas l’histoire. On aurait coupé les séquences inutiles, rassemblé le tout … on aurait eu un bon court métrage. Dommage que le cinéma malgache donne encore très peu d’importance au scénario.

Continuons sur les mauvais points: la musique. Là il n’y a pas de mots, c’est un désastre. La bande originale sonne pourtant bien. On a une bonne création … mais c’est tout. Le reste de la bande originale du film est plat. « motivational, inspirational, orchestral … » voilà surement les mots clefs tapés sur YouTube pour trouver et télécharger la musique. Au final c’est un gros pot-pourri incompatible de styles de musiques: de l’électro entre deux piano acoustique … la sélection musicale n’a aucune identité. Une ou deux fois, ça passe encore, mais chaque séquence est emprisonnée dans cet effet de clip. Le film n’ose pas aller dans le silence. Chaque scène doit être habillée par une musique, même si c’est une musique d’ascenseur.

Ce manque d’identité musical révèle aussi un autre défaut dans le rythme du récit: la dramaturgie. Ce côté n’a pas été bien étudié. Une séquence de combat à main nue revêt alors la même importance qu’une scène de dispute conjugale à cause de cette similarité dans le style de musique employé … ou encore une scène de marche dans la rue. À trop forcer sur la musique le film perd le sens du rythme et donc aussi du suspens.

Si tout cela peut encore passer … la fin est inexcusable. Dans un désir de faire une séquence hautement émotionnelle, ils ont préféré mettre le vocal du début de la musique de Gladiator (la musique de la bataille) en boucle pendant plus de 5 minutes.

Là j’ai repensé à cette personne qui traquait le moindre téléphone ou appareil susceptible d’enregistrer le film ou le son du film. Je pense qu’on ne devrait pas être trop exigeant sur notre produit quand nous ne le sommes pas avec ceux des autres. Parce que là c’est le voleur qui donne une morale.

SPOILER ALERT

Les défauts du film sont traînés jusqu’à la toute fin du générique. Choisir de terminer l’histoire sur un suicide annule le peu de sympathie qu’on avait pour le personnage durant le film. « Tout ça pour ça? » … le film est tombé dans le piège. Ce genre de fin ne fonctionne que si le personnage en a vraiment bavé ET qu’il s’est battu pour survivre. Mais avec un personnage passif…, cette fin ne marche vraiment pas.

Peut être aussi un avis perso … mais mettre un bêtisier à la fin d’un film « dramatique » … ce n’est pas la bonne chose à faire

FIN SPOILER

Beaucoup de défauts dramaturgiques donc. Et même si le public n’a pas suivi de cours de cinéma il ne faut pas oublier que les théories sont plus le fruit d’une étude psychologique et sociologique. Le public perd la continuité du film quand aucun climax ne survient en l’espace de 30 minutes. Le public n’éprouve aucune sympathie pour un personnage qui subit. L’utilisation de musique trop insistante brise la magie du cinéma…

Le résultat peut se mesurer à l’accueil lors de la fin du film. La salle comble s’est levée en chœur sans un applaudissement. Même le petit applaudissement timide qui tente de soulever les autres ne s’est pas fait entendre.

L’aperçu qu’on avait sur le cinéma malgache ne change pas avec ce film. Il est grand temps que les faiseurs de films se rendent compte que tout miser sur la technique ne marche pas. Il est grand temps qu’on accorde un plus grand intérêt à la dramaturgie. En évoquant cette idée la première fois j’ai reçu un « le public malgache s’en fout, de toute façon ils n’ont pas cette culture cinématographique que vous avez eue dans vos écoles de cinéma à l’étranger » … mais voilà … la dramaturgie n’est pas une science occulte inaccessible. C’est le fruit d’une étude psychologique, plutôt que des délires d’un groupuscule de cinéaste envieux de mettre des règles comme bon leur semblent. La dramaturgie analyse comment les spectateurs prennent telle ou telle idée. Et les grandes idées de la dramaturgie sont pour la plupart issues des études en sociologie.

Pour une fois j’ai assisté en direct à cette affirmation. Peu importe le niveau de vie de la personne, peu importe son intelligence … ils perçoivent à peu près tous la même sensation selon les méthodes utilisées pour raconter l’histoire.

J’ai mis en titre « le reflet de la culture malgache » car oui, pendant cette journée j’ai vu ces défauts que nous avons dans n’importe quel domaine. « Fotoan-gasy », amateurisme dans l’organisation, la perfection non recherchée, le faux-cul du piratage, la facilité à enfreindre les règles mêmes toutes simples…
La question est: est-on condamné à rester dans cette situation?

 

4 réflexions au sujet de « BENJA KELY: le reflet de la culture malgache »

  1. C’est dommage que les mêmes problèmes sont rencontrés dans presque tous les domaines dans notre pays. Mais on n’est pas condamné à rester dans cette situation, on peut choisir l’effet inverse, si on le veut vraiment, et ce n’est pas impossible.

  2. Bonjour.

    J’ai adoré ta critique du film. Je t’applaudis carrément. C’est bien une première fois que je lis un article bien écrit et bien posé.
    En parlant de la critique, j’ai égalemet assisté au film, qui personnellement, était un désastre. Et d’un sur l’affiche. Je pensais que l’acteur principal, Benja Kely, était Tsarafara. Ce que j’ai vu c’était tout à fait le contraire. On pouvait carrément enlever les scènes le montrant. Scènes inutiles dans le déroulement de l’histoire. De deux, la partie scénario était vraiment inexistante. La continuité de l’histoire était nulle. Que faisait la prise de « bokona » tuant le policier au couteau, leur fuite et leur implication dans le film? Pour moi il n’y avait même pas de chute pouvant renverser toute l’histoire. Moi qui croyais que Benja kely allait trouvé l’argent posé chez lui…eh bah non! Et là je me demande en fait pourquoi les policiers l’ont arrêté à la fin du film? Je n’avais pas trouvé aucun dénouement, aucune prise montrant la culpabilité de Benja kely. Etait-il déjà l’acteur principal?

    Je fais partie des T-movie et à la fin du film, en tant que association cinéphile, on en a parlé et on a trouvé (presque) les mêmes points positifs et négatifs. Je ne vais pas justifier notre implication plus importante que ceux de la régie ou de la production car tout a été dit. 🙂

    Bref, merci d’avoir ecrit cet article.
    Aussi, pourrais-je espérer être contactée par celui qui a écrit cet article? Je pense qu’on peut s’entraider 🙂

    • Bonjour, merci pour l’attention que vous portez à l’article. Je pense que nous nous verrons prochainement. Lova m’a présenté à vous vers la fin de la scéance. Sinon on peut toujours se parler sur fb: tsiory razafimanantsoa.

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